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L’enfer du dimanche

C’est au son de la douce mélodie de Take Five – Dave Brubek Quartet, 1959, que le joueur de hockey se réveilla. Trop tôt. Ces déplacements à trois heures de train étaient toujours trop tôt.

Mais bon, au moins il ne vivait pas plus à l’est que Lausanne. Se traînant en caleçon jusqu’à la salle de bain, il fut surpris de voir à quel point la nuit l’avait décoiffé. Le shampoing sec ne suffirait pas à faire bonne figure. Il scrolla les réseaux en se demandant s’il avait déjà vu ce post de la Fédération Française de la Lose, si sérieusement les seins d’Emily Ratajkowski étaient naturels, et si pour une fois, l’échauffement d’avant-match allait réussir à le sortir de la torpeur du trajet à venir. Il avait toujours le shot de gingembre qu’il avait acheté la veille, au pire.

« So called facts are fraud. They want us to allege and pledge. And bow down to their God. Lost the culture, the culture lost. Spun our minds and through time. Ignorance has taken over. Yo, we gotta take the power back! » entendit-il le chanteur de Rage Against The Machine rapper à travers le bruit de sa douche. Il fallait bien se racheter une gueule avant de sortir, au moins par égard envers les coéquipiers.

Son premier repas de la journée finit de le réveiller juste assez pour vérifier une dernière fois que toutes les affaires nécessaires avaient été rassemblées. En partant à 12, ça aurait été dommage d’oublier son maillot… Les prévisions météo n’avaient pas réussi à lui faire prendre un short pour le retour ou une paire de tongues. On était quand même le 22 septembre et il allait peut-être se faire niquer par les arbitres mais pas par la température. Please.

« Au revoir », bruit d’une bise, « à ce soir ! », « bon match », « j’espère que vous allez bien jouer », sourire, « merci [insérer le nom de l’interlocuteur-trice], bonne journée », sourire, bruit de clefs, dilemme : checker l’appli TPG ou mettre de la musique d’abord ?


Bus, achats, salutations, voie 4, cartes de Jass, série Netflix, carte de la Suisse, tirage des équipes, atout pique, match, Lausanne, salutations, tirage des équipes, rebelote, torpeur. C’était prévu.

Le joueur se changea tranquillement, le briefing n’était pas pressé. Sous-short, sous-shirt, sous-motivation, sur-chaussettes, survêtement, sur-motivation. On reparlait de la stratégie, devisait schémas tactiques ou de l’importance du goal-average dans les championnats serrés. Il connaît la routine pour l’avoir vécue des milliers de fois ou presque. Le rituel laisse d’ordinaire peu de place à la fantaisie et son équipe ne dérogeait pas à la règle. Normal, on était pas là pour faire les sparring- partners, s’en prendre 8 et quitter le match dans le même état qu’un lendemain de cuite à la 8.6.

Un échauffement plus tard, son maillot enfilé, il était prêt à en baver. La rencontre s’annonçait tendue. Heureusement, depuis quelques matchs, il arrivait à cultiver un léger sentiment de rage durant sa préparation. Pas du type de celui qui vous fait gueuler sur vos coéquipiers, les hommes en jaune et prendre une carte de la même couleur. Non, c’était plutôt le genre de sentiment qui donne envie de ne rien lâcher. Celui qui incite à détester l’échec dans les duels ou les prises de balles. Celui qui vous faisait simplement refuser la défaite. Le joueur de hockey était prêt.

Le LSC – SHC de ce dimanche commença fort. Une grosse pression par l’équipe locale finit de réveiller les Grenat. L’erreur défensive allait être fatale et les opportunités offensives rares. Trompant les statistiques de nos contre-attaques, l’équipe ouvrit néanmoins la marque après une dizaine de minutes. Le joueur de hockey Benoît passa la balle au joueur Loris qui la remit dans le centre. Le joueur Léonard placé en tête de cercle servit alors le joueur Benoît qui avait coupé vers le second poteau. Déviation, but. Compris. Terminé.

Le joueur de hockey recommença à défendre. Puis continua, encore, sur corner, et encore. Mi-temps, balle au centre. Le joueur de hockey recommença à défendre. Puis continua, encore, sur corners, puis encore, et finalement pas assez. A la 64e minute, les locaux égalisèrent. Les attaques menées par le joueur et ses coéquipiers furent éparses et peu organisées, souvent démunis face à la défense très haute de leurs adversaires. Les solutions manquaient.

Deux minutes à jouer, corner Lucerne. Le dragflick des locaux en finit avec les ambitions servettiennes. Peut-être qu’avec les quart-temps de 15 minutes proposés en début de saison, le joueur de hockey serait reparti plus content, ou pas.

La conclusion fut en demi-teinte : of course ouvrir le score et le garder aussi bien pendant tout ce temps est super positif, but maybe réussir à sortir de la pression et avoir davantage d’actions auraient permis au joueur de hockey de repartir avec les trois points. (Louis CK – Of course…But Maybe…)

Au coup de sifflet final la routine reprit. Débriefing, commentaires, douche. Le joueur de hockey savait que prendre sa douche trop vite le contraindrait à re-transpirer dans ses vêtements du retour. Il ne s’était pas fait niquer par les arbitres, il ne se ferait pas niquer par la météo alors patience, il ne se ferait pas niquer par une précipitation qui n’a pas lieu d’être. Keine Amateurscheisse.

Et la routine de continuer : bus, gare, bouffe, bière, Jass, torpeur. De celle-là il n’aurait pas besoin de se réveiller une fois arrivé. Sauf peut-être pour finir ses devoirs d’anglais, réviser sa bio ou réaliser que la doctrine de droit fiscal pourrait attendre. « On verra bien une fois rentré… » se disait le joueur de hockey.

Peut-être que Daniel pourra l’aider : Tous les cris les S.O.S – Daniel Balavoine, 1985

Julien « Amaguiz » Schnellmann