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Equipe nationale Hommes: La Suisse qui perd, la Suisse qui gagne

Hartleyvale Hockey Stadium, Le Cap, Afrique du Sud
Mardi 3 mars 2015. Alors que certains rangent gentiment leur crosse de salle à la cave, nous sommes au pied de Table Mountain. Les crampons sont chaussés, le chamois bien serré, la crème solaire étalée sur le visage. Nous découvrons notre terrain de jeu des deux prochaines semaines. Nous sentons la pression monter. Nous sommes là où nous voulions être: Hartleyvale Hockey Stadium, Le Cap, Afrique du Sud.
Flashback
Dimanche 18 août 2013. En terrain connu: Stade de Vidy, Lausanne. Le soleil tombe, les spectateurs sont loin, sur le banc les joueurs suisses savourent une bière et une victoire indiscutable contre la Croatie en finale de la division C des Championnats d’Europe. On se remémore les exploits de la semaine, les victoires qui s’enchaînent, les encouragements des spectateurs venus en nombre. La fête est courte, car tous repartent le soir même, à Genève, en Suisse-allemande, en Allemagne. Mais on se quitte en se disant qu’on a commencé quelque chose de bien, qu’une base est posée et qu’on pourra construire sur celle-ci. Enfin, la Suisse est à nouveau en division B.
Jeudi 3 juillet 2014. Une belle gifle. Au milieu de nulle part, Sveta Ivan Zelina, Croatie, l’équipe de Suisse prend une leçon face à la Russie (1:7). Le rythme est élevé, les passes sont précises, chaque occasion est transformée. Côté suisse, on sait ce dont on est capables: l’engagement est bien présent, la créativité ne manque pas, certaines individualités peuvent faire la différence; mais les fondamentaux font défaut: corners courts non transformés, finition anémique, sérénité défensive inexistante. Contre une équipe européenne de division A, cela se paie cash. Dans l’ultime match du tournoi, face à la Croatie et devant un public chauffé, face à des arbitres qui perdent le fil de la rencontre et envoient de manière surprenante un Helvète au vestiaire, face aux poteaux qui sauve le gardien croate, face à eux-mêmes et à leurs propres peurs, les Suisses se (re)trouvent des qualités essentielles: le courage, l’abnégation, la volonté de toujours aller vers l’avant, et d’égaliser au dernier moment pour décrocher leur ticket pour la suite de leur aventure: le second tour de la World League.
Samedi 21 février 2015. Sous une bulle. Dans une bulle. Les Suisses terminent leur préparation pour la World League. Le groupe, dans sa majorité, est ensemble depuis la fin janvier déjà. A peine terminée la Coupe du Monde en salle à Leipzig qu’il faut déjà fouler le synthétique bleu de Mannheim. Au programme, trois rencontres face à la République tchèque, qui disputera également la WL au Cap. Avec trois victoires et un début de jeu d’équipe, les Helvètes se posent encore beaucoup de questions mais c’est surtout l’impatience grandissante de s’attaquer aux meilleures nations mondiales qui domine. 

Stade sous "bulle" à Mannheim, idéal pour la préparation hivernale
Renouveau: un long chemin
Il n’est pas facile d’être hockeyeur suisse. Vous me direz, c’est plus aisé que de jouer en équipe nationale hollandaise, allemande ou belge… Non, il n’est pas facile d’être hockeyeur suisse, car il faut apprendre à perdre. A perdre contre meilleur que soit (alors qu’on a tenu tête 65 minutes), à perdre une qualification (alors qu’on menait pendant la majeure partie du match), à perdre contre les autres parfois, contre soi-même souvent. La mentalité suisse est connue, et elle s’affirme aussi dans notre sport. On est petits mais courageux, mais à la fin on laisse quand même passer les plus grands d’abord. 
En 2008, à son meilleur classement mondial des dix dernières années, la Suisse pointait à la 28ème place. Pas mal pour une petite nation du hockey! Elle venait tout juste de disputer les "Olympic Qualifiers" au Japon, un des trois tournois destinés à délivrer les trois derniers sésames olympiques (sur 18 pays engagés). Sixième et dernière, la Suisse avait néanmoins livré une belle résistance face au pays hôte, à la Malaisie et à la Pologne notamment. Mais n’avait jamais su, malgré les opportunités, s’imposer… L’été 2009, l’équipe a perdu la majorité de ses joueurs cadres, partis en retraite internationale, et doit "bricoler" pour présenter 18 joueurs au Pays de Galles. C’est le début de la chute… La relégation en division C est inévitable après une défaite mortifiante contre la Biélorusse (0:1). Deux ans plus tard, c’est l’Italie, chez elle en Sicile, qui barre la route aux Suisses en demi-finale de promotion. En 2013 enfin, une équipe rajeunie et épaulée par quelques roublards se reconstruit, sur ses terres, et commence le beau parcours qui l’emmènera jusqu’en Afrique du Sud!
Quand les petits Suisses débarquent
Il n’est pas facile d’être hockeyeur suisse. Surtout face à des joueurs de classe olympique, des internationaux évoluant dans les meilleurs championnats européens, des talents revenant tout juste de l’Indian Hockey League, des semi-pros s’entraînant chaque jour de la semaine… Avec sa préparation trop courte, son contingent réduit, son championnat de LNA faiblichon, le joueur national suisse peut, pour le coup, se sentir bien petit. Mais qu’elle est grande, par contre, la fierté de représenter les couleurs rouges et blanches loin du pays; qu’elle est grande, la motivation de s’arracher face à plus fort que soi; qu’elle est grande, l’envie de continuer à évoluer et à apprendre ensemble!

Hymne suisse avant le match
Après les beaux mots vient la réalité du terrain. Les Egyptiens (ou Pakistanais africains), présentent un style de jeu inédit pour plus de trois-quarts des Suisses: maîtrise de balle, dribbles, vitesse… Tant bien que mal les Suisses parviennent à sauver une avance d’un but pendant 50 minutes, mais doivent s’avouer vaincus par des Pharaons qui n’auraient jamais pensé avoir tant d’efforts à fournir. Contre la Chine, c’est à nouveau la découverte. Un jeu simple mais efficace, une parfaite homogénéité parmi tous les joueurs, une exécution bien rôdée et surtout, disons-le, certainement bien plus de joueurs de hockey que de joueurs de foot suisses (c’est dire la proportion). Il faudra patienter pour battre une équipe asiatique. L’Afrique du Sud se dresse face à la Suisse dans le dernier match de groupe. Olympiens à Londres en 2012, les Sud-Africains ont un palmarès bien plus fourni que nous, les mollets saillants, les épaules carrées, les dents blanches et une vitesse de pointe à la Usain Bolt. Heureusement qu’ils courent parfois plus vite que la balle… C’est à la peine qu’ils parviennent à inscrire deux buts sur corners courts, et ce n’est certainement pas rassurés qu’ils continuent dans le tournoi. 

Quart de finale disputé entre la Suisse et la France (3:5)
Les Suisses par contre, sont dorénavant à bloc pour leur quart de finale contre la France. Le "petit" n’a rien à perdre. Face à la tête de série n° 2 du tournoi (18ème mondial), invaincu en trois rencontres, on savait qu’il faudrait jouer libérés et relâchés. On a surpris l’opposition, comme le relate le site de la Fédération française après le match: "Il aura fallu attendre les quarts de finale pour voir la défense française se faire bousculer. Après trois victoires nettes en poule (…), les Bleus ont encaissé leurs premiers buts contre de surprenants Suisses, qui n’ont cédé qu’en toute fin de match (5-3)." Enfin, un match complet des Suisses, pas de regrets, pas de tristesse, si ce n’est celle d’avoir manqué l’opportunité de créer la surprise. Surprise, l’équipe l’a peut-être été elle-même, à voir ce qu’elle pouvait livrer comme performance sur le terrain. Pour une fois, et même si l’équipe de France était meilleure comme elle l’a montré tout au long du tournoi, il n’aura peut-être manqué qu’un soupçon de chance…
La fin d’une campagne
Il fallait quand même encaisser le coup, et se rendre compte, pour de vrai, que les espoirs olympiques s’envolaient. Ils étaient certes lointains ces espoirs, mais il portait cette équipe nationale depuis août 2013. C’était d’une certaine manière la fin d’une campagne. Or il fallait encore "terminer le boulot". C’est beau de faire de bons matchs face aux grandes nations, de les accrocher et de les faire douter. C’est par contre essentiel de s’imposer face à plus faible que soi, et de finir le tournoi sur une bonne note. Et la vraie satisfaction, pour l’équipe et pour moi-même, est bien celle-ci: d’avoir ramené d’Afrique du Sud une cinquième place (sur 8), d’avoir remporté deux matchs de classement contre mieux classés que soi (République tchèque – 21, et Biélorussie – 35). D’avoir continué à progresser, au moment où c’était peut-être le plus difficile. D’avoir montré que la Suisse, ce n’est pas seulement une nation qui perd, mais aussi une nation qui sait gagner…

Suisse – République Tchèque (2:0) : Gagner a du bon!
Les prochains défis
Et après ça, me direz-vous? La World League est derrière nous, certes. La Suisse a gagné cinq places au classement mondial, bravo (33ème). Mais le plus dur reste à venir: il faut confirmer. Il y a désormais une place dans la division B européenne à défendre, et pourquoi pas, une promotion à aller chercher? La Suisse est certes limitée en nombre de joueurs, mais elle a du potentiel dans ses membres. Quand je lis ce que font les U16 et les U18 suisses, je me dis que les jeunes toquent déjà à la porte… Et pourquoi pas avec plus de Romands, de Genevois et de Servettiens encore? L’équipe suisse est une excellente école. A tous les âges, à tous les instants, on continue à y apprendre, sur soi-même et sur les autres. On y découvre ses adversaires du dimanche, on visite le monde, on joue dans des lieux insolites. On apprend même un peu le suisse-allemand si on y met du sien… Et on ramène tout ça dans le club (sauf le suisse-allemand), et on continue à travailler, pour gagner d’autres matchs, pour vivre d’autres moments de victoires, pour remporter d’autres titres!

Pascal Zimmermann